Déçu !

Depuis des mois, je projetais de retourner voir mon généraliste pour faire le point et le tenir un peu plus au courant de mon état que ce que lui ont écrit le pneumologue et le cancérologue. Ayant reçu il y a quelques temps un rappel pour le dépistage du cancer colo-rectal (j'avais négligé le précédent courrier, arrivé l'an dernier peu avant la découverte de ce cancer du poumon), c'était l'occasion de me décider et d'aller surtout me plaindre de mes douleurs et ballonnements coliques et de l'aggravation de mes douleurs lombaires basses depuis l'épisode de la chimiothérapie, et de lui parler de mes divers autres petits maux et de voir ce qu'on pourrait faire pour améliorer tout ça.

Mon épouse ayant eu besoin de le consulter, je lui avais demandé d'en profiter pour prendre rendez-vous pour moi. C'était il y a onze jours.

À ce moment-là, au niveau digestif, c'étaient des ballonnements et une sensibilité colique majorés depuis l'épisode de colite liée à un produit de chimiothérapie qui me perturbaient surtout la nuit, me tenant parfois longtemps réveillé vers 3 ou 5 heures du matin. J'attendais parfois vainement l'expulsion de ces gaz et la diminution de la dilatation colique, et donc de ces douleurs. Certaines nuits se passaient bien, d'autres très mal...
Au niveau lombaire, avant l'intervention, j'avais en réalité plus mal au niveau de la fesse droite, de la hanche, une brûlure plus supportable sur le côté de la cuisse, qu'au rachis lui-même. Parfois, à la marche, une douleur sciatique gauche se réveillait au niveau de la fesse. Marcher était difficile, me pencher aussi, mais j'y arrivais en serrant parfois les dents. Depuis le printemps dernier, avec l'épuisement dû au traitement et la fonte musculaire, les douleurs se sont accentuées et modifiées. Que je marche ou reste debout à piétiner, la douleur s'est faite plus intense au niveau de la crête iliaque droite, au-dessus de la fesse ; la brûlure (fesse, hanche et cuisse) ne s'est pas trop accentuée, mais j'en souffre depuis si longtemps que j'ai dû m'y habituer.

L'été passé, cherchant un emballage dans le placard de mon bureau, il m'a fallu monter sur un petit escabeau : je me suis retrouvé sans problème sur la première marche, du pied gauche ; il m'a par contre fallu m'y reprendre à trois fois avant que la cuisse droite ait la force de me soulever ! Depuis, je ressens en permanence cette faiblesse musculaire. Si j'ai besoin de travailler au sol et de mettre un genou à terre, de m'accroupir (j'évite) ou de m'asseoir, impossible de me relever si je ne dispose pas d'un appui pour utiliser mes bras : les muscles de mes cuisses n'ont plus suffisamment de force de soulever mon poids, d'autant qu'après ma perte de poids du printemps, j'ai repris presque autant de kilos, à mon grand désespoir.

Ces douleurs, si anciennes bien qu'aggravées depuis un an, je vivais avec, prenant parfois un antispasmodique avant de me coucher, histoire d'espérer mieux dormir, ou du paracétamol bien peu efficace sur la douleur sciatique (même plus d'effet placebo !).

Le jour où mon épouse a pris ce rendez-vous, j'ai eu à faire beaucoup de route : deux heures et demie de conduite, puis une heure et demie comme passager, trois bonnes heures debout à piétiner et discuter avec diverses personnes, puis retour, une heure et demie comme passager, deux heures et demie à conduire. Environ huit heures de route donc, et plus de trois heures debout : une rude journée ! Vers la fin de la station debout, une sensation bizarre m'a fait toucher mes cuisses : toute leur face externe, ainsi que celle des fesses, était comme anesthésiée. Je ne faisais pas attention à la douleur lombo-sciatique, probablement trop habitué. La conduite au retour n'a pas été trop pénible, mais en sortant de la voiture, l'ankylose était là et je m'attendais à ce qu'elle s'aggrave les jours suivants. Je n'ai pas regretté d'être rentré le jour-même, pas sûr que j'aurais été capable de reprendre le volant le lendemain.

Ne voulant pas passer trop de temps à expliquer au généraliste mes divers maux comme les brûlures et autres soucis oculaires, mes acouphènes et ma rhinite vasomotrice, ma fatigue et mon essoufflement, mes démangeaisons, j'avais préparé un résumé se terminant par l'évocation des douleurs lombaires et coliques comme motifs de consultation, sur lesquels je pensais m'étendre. J'avais aussi l'intention de lui demander s'il pensait qu'une consultation de rhumatologie ou un bilan fait par la kinésithérapeute qui m'avait si bien soulagé après l'opération lui semblait utile.

Mais entretemps, pour une raison qui m'échappe, à moins que ce ne soit une conséquence de ce déplacement fatigant, je me suis retrouvé avec des douleurs prenant à la fois l'aile iliaque, au-dessus de la fesse, et la fosse iliaque droite, partant du rachis et touchant tout le côté droit, à me faire pousser des "Aïe" sonores, incapable de déterminer si c'était un mouvement du rachis ou une contraction de ce qui me reste d'abdominaux qui les déclenchait. J'espérais donc qu'un examen rachidien et une palpation abdominale, précédés d'un interrogatoire ciblé, me permettraient d'avoir son avis. Je pensais aussi pouvoir lui raconter un peu l'histoire de ces douleurs.

Pour ce qui est des douleurs coliques, elles remontent à ma période d'internat au lycée, je ne me souviens pas en avoir souffert avant. Souvent, et en général les jours de promenades en campagne, lorsque la sortie du dimanche chez mon correspondant était annulée (pour une colle par exemple, car elles pleuvaient à l'époque) ou le jeudi, je finissais souvent la soirée en allant voir l'infirmière qui me faisait avaler une dose d’Élixir parégorique, puis j'allais me coucher, à plat-ventre sur une écharpe, pour attendre la diminution de la douleur et l'endormissement. Depuis, je me suis souvent plaint de telles douleurs, colite de stress...

Les douleurs lombaires, quant à elles, datent de l'adolescence. Une brutale poussée de croissance vers 13-14 ans (pendant ma deuxième année d'internat) a provoqué des empreintes dans les vertèbres lombaires et dorsales basses, sans douleurs particulières, et qui n'ont été décelées que bien plus tard. Maladie de Scheuermann, suivie quelques années plus tard par l'apparition de lombalgies. Il faut dire que mes parents avaient alors acheté un bout de terrain pour y faire construire une maison, terrain qui était une ancienne vigne et qu'il a fallu débarrasser de tonnes de cailloux que nous allions jeter à la rivière, à deux ou trois cents mètres de là, en brouette, puis dans des vieux seaux à peinture, chargés dans le coffre de la 4L. Remuer la terre, la passer au crible, remplir la brouette ou les seaux, transporter, vider : pas très bon pour des lombaires fragiles. De plus, je faisais de l'athlétisme à l'époque : courses de vitesse mais aussi saut en longueur qui ne ménageait pas ces lombaires. Plus tard, des épisodes de vrais lumbagos, même de sciatique droite allant jusqu'au pied, par exemple en remettant en place le marbre d'une commode (il faut serrer les dents pour finir le geste malgré la douleur et ne pas se laisser tomber le marbre sur les pieds) ou en tentant de déraciner une plante envahissante, sciatique heureusement résolutive en quelques instants, les lombalgies étant plus durables.

Et puis un jour, lors d'une balade à vélo, sur une petite route, mon ex-femme qui roulait devant moi a fait un écart brusque, m'obligeant à faire un gros effort d'évitement pour ne pas que ma roue avant touche sa roue arrière et qu'on chute tous les deux : appui brutal sur une pédale, déhanchement qui a ouvert la dernière articulation, L5-S1, et une douleur intense est apparue, au bas des lombes, très localisée, m'évoquant une entorse de l'articulaire postérieure droite. Cette douleur s'est peu à peu atténuée, les confrères consultés n'ont pas imaginé de hernie discale malgré mes antécédents, puis les lombalgies se sont de nouveau manifestées. Lorsque j'étais en salle d'opération, à cette époque, puis dans mon cabinet médical, il m'arrivait fréquemment de me pencher en contractant les abdominaux et de faire craquer les lombaires : la douleur s'atténuait alors. Puis la douleur sciatique fessière et de cuisse, à type de brûlure, est devenue permanente, légère mais permanente. Lors d'un scanner il y a neuf ans, j'avais demandé au radiologue d'étudier ce disque L5-S1 : les vertèbres se touchaient presque, le disque étant très affaissé, témoin d'une hernie ancienne et de dégénération ; j'imagine que ça ne s'est pas arrangé depuis, mais je n'ai pas étudié mes scanners récents.

Bref, quand je suis arrivé chez le médecin, avec mon dernier scanner, mon dernier bilan biologique et mes explorations fonctionnelles respiratoires, plus ce résumé dont j'ai parlé au début, il s'est contenté de les scanner pour les intégrer à mon dossier, de me dire que je devrais diminuer la dose d'anticoagulant (pour sa toxicité rénale), mais ne m'a guère laissé décrire mes soucis actuels. Il m'a fait monter sur la balance puis m'allonger sur le divan d'examen, m'a ausculté, pris la tension, sans faire le moindre commentaire, m'a discrètement palpé le ventre. C'était terminé. Je lui avais dit n'avoir pas été soulagé par des médicaments pour les ballonnements, il m'en a prescrit un autre sans m'en parler, a ajouté un antispasmodique, a fait un résumé de mon dossier pour un rhumatologue (à moi de choisir lequel) et fait une prescription de vingt séances de massage et rééducation lombaire, et voilà ! Ça change sacrément de ma manière de prendre du temps pour laisser les patient(e)s expliquer ce qu'ils ou elles ressentaient, au temps où j'étais moi-même soignant !