Faut qu'j'la supporte !

Faut qu'j'la supporte !

J'ai l'impression d'utiliser la méthode Coué ! Mais même si je me mets bien en tête qu'il faut que j'arrive à supporter cette chimio, que c'est le seul moyen pour espérer une rémission, en conjonction avec la radiothérapie à venir, ce sont surtout mes reins, ma moelle osseuse et mon colon qui décideront.

Oui, j'ai trop les souvenirs de ces semaines il y a deux ans où j'avais accumulé les désagréments : thrombose sur le Pic-line, fatigue, septicémie, colite +++, totale inappétence m'ayant cloué au lit, à la maison puis en clinique, avant que peu à peu, les effets néfastes s'atténuant, j'arrive à recommencer à manger et à reprendre des forces.

Deux ans plus tard, il me reste cette fatigue et fatigabilité, ce manque de forces, ces légers étourdissements dont je crains toujours qu'ils se concluent par une chute, cette impossibilité de mener une vie normale, et cette obligation de déléguer trop de choses, moi qui suis depuis toujours habitué à tout gérer moi-même.

En ce moment, j'aurais tant de choses à faire dans le jardin, mais le temps ne m'en a pas laissé le temps ! Comment traiter contre les pucerons ou la pyrale du buis, contre la cloque des pruniers, lorsque pluies et orages sont journaliers ? En ce moment, le tonnerre roule d'un sommet à l'autre...

Histoire de m'occuper l'esprit, l'évacuation de l'évier s'est rebouchée hier. Il y a quelques temps, ça s'était déjà produit, mais le remplissage d'un des deux bacs avec un arrosoir avait suffi à régler le problème en jouant sur la pression. Oh non, ça ne pouvait pas être simplement le siphon comme on le voit dans les spots publicitaires, mais carrément le tuyau, au niveau d'un coude probablement. Dans un premier temps, après un premier essai inefficace avec du déboucheur liquide, il m'a fallu m'asseoir par terre pour pouvoir utiliser la tringle souple de débouchage qui a buté sur le coude ou le bouchon, puis est passée, glissant dans sa quasi totalité sans point dur. Après un ramonage, on pouvait espérer la résolution du problème. Deux arrosoirs pour faire de la pression. Zut ! Le bouchon n'a fait que se déplacer : après l'espoir car l'eau descendait de manière normale, elle s'est mise à ne se vider qu'extrêmement lentement.
Ce matin, nouvel essai. La tringle bute de nouveau très vite, impossible de passer ce qui est probablement un coude. J'essaie d’utiliser le côté souffleur de l'aspirateur de garage : rien ne semble bloquer, l'aspirateur ne souffre pas, mais à peine le siphon remis en place, nous en sommes au même point : bouché. Nous sommes lundi, les seuls magasins ouverts, où je pourrai trouver du déboucheur liquide, sont à 30 kilomètres . Pas d'autre solution, il faut que j'y aille, sous la pluie au retour.

Après 3 litres de produit et plus de trois heures d'attente, il semble enfin que ce tuyau se soit débouché. Espérons que c'est vraiment le cas et que je n'aurai pas besoin dans quelques jours de m'asseoir de nouveau par terre (vous ne m'avez pas vu batailler pour m'en relever !!!) pour tenter une nouvelle opération de débouchage. Il faudra appeler le plombier !

Mais téléphoner, avec ma voix cassée, c'est la galère ! En fin de semaine dernière, j'ai appelé le cabinet infirmier pour prévoir les piqûres sous-cutanées à faire après la séance de chimio. L'infirmière a mis un moment à me comprendre et à m'identifier ! Et ce matin, il a fallu que je rappelle pour prévenir que ce n'était pas mercredi, mais jeudi que la première injection devait être faite. Là encore, il a fallu du temps avant qu'elle me comprenne.

Bref, cette atteinte de la voix, qui n'a d'abord été qu'épisodique, est devenue presque permanente, compliquant mes relations. Il est dommage que le cancérologue ne se soit pas arrêté dessus, se contentant de dire que le nerf récurrent était en cause : simple inflammation de proximité pouvant régresser, ou pris dans la récidive qui pourtant ne paraît pas si proche ? Qu'il est dur d'être médecin et de ne pas être pris en charge comme n'importe quel malade lambda ! Les confrères semblent considérer qu'on sait tout, comme eux savent !

Il me semblait avoir déjà évoqué ici l'idée de consulter la psychologue spécialisée en oncologie qui était venue me voir vers la fin de mon séjour en clinique il y a deux ans, en juin. Je l'avais trouvée très à l'écoute, beaucoup plus que celle venue voir quelques instants plus tôt mon compagnon de chambre. Je ne sais pas si ce qui primerait dans ce que j'aurais à lui raconter, c'est la peur de l'avenir ou cette sensation très désagréable qu'on n'est pas, avec le cancérologue comme avec le médecin généraliste, dans le cadre d'une relation humaine, médecin-malade, mais dans le traitement d'une maladie, le malade n'existant pas. Est-ce le fait que je sois médecin et considéré comme sachant, comme je viens de le dire ? Est-ce que les médecins ont perdu l'habitude de considérer le malade comme un ensemble, qui n'a pas qu'un symptôme ou une maladie, mais toute une série de petits ou gros bobos dont chacun peut avoir une influence sur les autres ?

Cette période de déchéance majeure, il y a deux ans, est ce que je crains de retrouver, que ce soit à cause de la chimio ou malgré elle. J'ai besoin de le dire. Ces journées où j'étais incapable de manger, où je n'arrivais à me lever que pour aller au fauteuil, pendant que les aides-soignantes refaisaient mon lit, ou aux toilettes en trainant le pied à perfusion et ses poches d'hydratation et d'alimentation, ayant à peine le courage de me débarbouiller... redoutant les lavages de bouche avec le mélange écœurant destiné à limiter la mycose, les nausées épuisantes qui les suivaient souvent, ou qui survenaient simplement quelques instants après avoir avalé mes médicaments avec une gorgée d'eau. J'avais l'impression de ne plus rien maîtriser, et ce ne devait pas être qu'une impression ! Je laissais aller, "advienne que pourra", amorphe, attendant qu'un miracle se produise et que les choses s'améliorent. Une chance, pas un miracle, le retour à la maison et les bons soins de mon épouse m'ont permis de recommencer à m'alimenter et de reprendre des forces, puis d'oublier temporairement cette période. Mais à chaque approche des examens de contrôle, ces souvenirs se manifestaient plus ou moins.

Alors oui, il faut que je la supporte, cette chimio, qu'on puisse en faire toutes les séances envisagées, avant que la rédiothérapie la complète afin de mettre de mon côté un maximum de chances de rémission, voire de guérison !

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Ergé

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